(en raison d'un problème de scanner, je recopie les polys, à deux ou trois mots prêts)
Chapitre 8 : La France rurale des années 1880 aux années 1930
La France rurale pendant notre période revêt trois caractéristiques d'ensemble :
- le poids démographique : comme on l'a vu au premier chapitre, la population rurale représente les 2/3 de la population française vers 1885 et encore la moitié en 1930.
- une importance politique : le scrutin d'arrondissement grossit le poids de la terre; à partir de 1890 les batailles politiques se gagnent dans les villages et non plus dans les villes.
- sa complexité : elle ne comporte pas uniquement des paysans, au sens d'exploitants, de cultivateurs maîtres d'une exploitation grande ou petite qu'ils possèdent ou non (certains louent leurs terres, il s'agit des "fermiers" au sens strict du terme), et la travaillant de leurs mains, avec ou sans l'aide de salariés agricoles, très souvent en famille. Elle comprend également en outre des salariés agricoles (catégorie défavorisée avec un sort plus durs que les prolétaires urbains), des propriétaires résidant à la campagne (souvent rentiers modestes, il s'agit des "messieurs" des villages provençaux), des artisans ruraux en proportion d'autant plus importante que l'unité rurale vit encore en autarcie (ferblantiers, sabotiers, bourreliers, charrons, maréchaux-ferrants, etc ...), des commerçants, mais également dans les zones d'industries rurales, un prolétariat industriel rural.
Cette société n'a jamais été immuable, de tous temps les campagnes ont subi des évolutions, souvent lentes et certes moins visibles qu'ailleurs. Il importe de distinguer la période qui précède la guerre de 1914 (la Belle Epoque) et celle qui suit (l'entre-deux-guerres). C'est à partir de 1920 que l'on peut discerner des évolutions décisives.
I) La France rurale à la Belle Epoque :
Elle se caractérise par quatre traits principaux :
- une civilisation matérielle qui connaît une lente évolution
- une sociabilité particulièrement riche
- un soubassement culturel en pleine évolution
- une représentation sociale unifiée, dissimulant des statuts sociaux beaucoup plus diversifiés
A) Une civilisation matérielle qui connaît une lente évolution
L'alimentation paysanne traditionnelle se caractérisait par deux traits essentiels : le recours exclusif aux ressources locales et son manque de variété, ainsi, dans la majorité des campagnes durant le premier XIXème siècle, le pain restait l'aliment de base, souvent mangé rassis trempé dans la soupe, la viande demeurait un aliment de jours de fête.
A partir des années 1870, l'alimentation se diversifie, avec une présence plus grande de la viande, surtout dans les pays d'élevage porcin; le café et le vin deviennent courants. Ces transformations concernents surtout les régions qui s'ouvrent sur les échanges et qui donc se spécialisent dans telle ou telle production. Elles sont liées bien sur à l'essor de la production agricole.
De même, l'habitation devient plus complexe, au schéma traditionnel de la "maison-bloc", basse, avec pièce unique d'habitation peu meublée, se substituent des maisons à étage, ou des "maisons-cours", formées de plusieurs bâtiments juxtaposées et spécialisés. En matière d'habillement, la garde-robe se diversifie lentement, grâce aux achats faits dans les foires voire par correspondance. On a pu à ce propos noter que l'influence urbaine s'était répandue par le biais des robes de mariage.
B) Une sociabilité riche, juxtaposant des éléments anciens et des éléments nouveaux.
La sociabilité villageoise conserve des traits anciens, au moins avant 1890 : un peu partout, les "veillées", le plus souvent simple rassemblement familial, mais qui peuvent prendre l'allure de fêtes collectives; ou bien dans les régions du Midi, les chambrées (groupes d'hommes réunis autour d'un verre pour discuter de questions diverses : les classes populaires ont ici imité le modèle du cercle bourgeois citadin). Mais tout cela décline après 1890, dans l'ordre festif, les carnavals et les charivaris ont décliné dès la première partie du XIXème siècle. Les fêtes religieuses, très développées dans la première partie du XIXème siècle gardent leur importance, surtout dans les régions restées marquées par l'empreinte du christianisme (Vendée, Bretagne, ...)
Les formes nouvelles se développent surtout après 1890, les veillées disparaissent. "Là où elle subsiste, la veillée n'est plus qu'un rassemblement de femmes et de vieux où règnent les commérages [...]. Le café, symbole d'ouverture sur la société englobante, l'emporte sur la veillée, facteur de repliement du monde paysan sur lui-même" (Annie Moulin).
Le développement des associations (sportives, musicales, professionnelles, etc ...) caractérise aussi le monde rural à partir de 1880. Encadrées souvent par la petite bourgeoisie rurale, ces associations s'insèrent dans les réseaux départementaux ou nationaux, permettant ainsi l'insertion des campagnes dans l'ensemble national. Sur le plan festif, les cérémonies civiques et républicaines (14 juillet) occupent une place grandissante, concurrençant les célébrations à connotation religieuse. Le bal des conscrits, à forte connotation patriotique, remplace les bals plus anciens.
C) Un soubassement culturel en pleine évolution.
Un double bouleversement se produit : d'un coté, la langue française se répand dans les campagnes; de l'autre, l'écrit (qui suppose la double compétence de la lecture et de l'écriture) pénètre aussi dans le monde rural.
L'expansion de la langue française n'est que l'aboutissement d'un lent processus, commencé de longue date, il est difficile de tracer un tableau d'ensemble de la progression du français. Pour certains acteurs, encore vers 1850, le français est une langue étrangère pour la moitié des habitants du pays? D'autres soulignent au contraire que les non francophones intégraux (qui ne parlent, ni ne comprennent le français) ne sont plus qu'une minorité (10%?). Il semble au toral que la plupart des paysans comprennent le français mais utilisent toujours la langue locale vers 1850. Après 1870, la progession du français devient inexorable, surtout dans les générations jeunes, les parlers très éloignés du français (breton, basque, flamand (l'Alsace et la Moselle étant au sein du IIe Reich)) manifestant une résistance plus grande. A la veille de la Grande Guerre (14-18), le "bilinguisme" existait encore, mais se trouvait fortement atténué.
La progression du français résultait de l'action de deux vecteurs, l'enseignement et l'influence urbaine, au moyen de divers canaux. L'école joua un rôle déterminant, par la loi Guizot de 1833 (une école par commune), puis par les lois Ferry (la loi de 1882 institue l'obligation scolaire pour l'école primaire). La diminution du nombre de conscrits illettrés atteste bien ces progrès : 21% en 1872 ; 15% en 1887 ; moins de 4% en 1914.
L'influence urbaine, facilitée par l'essor des communications, s'est répandue par divers canaux : d'abord la diffusion de l'écrit dans les campagnes. Ainsi, avant 1870, par la diffusion des images d'Epinal et les almanachs (qui, avec les livres de messe, constituent l'essentiel des "bibliothèques" paysannes); après 1890, par la diffusion de la presse (les grands journaux populaires, comme Le Petit Journal).
Ensuite, le service militaire, qui a contribué à unifier la langue, mais aussi les modes de vie (alimentaire notamment), même si le recrutement conservait une base largement régionale. Enfin, l'intensification des relations postales dans tout le pays : on compte en 1880 14 lettres par an et par habitant ; en 1913, 40 lettres.
D) Une représentation unifiante, mais une société hiérarchisée et diversifiée.
Les organisations agricoles se mettent en place pendant les années de difficultés (années 1880-1890) : mutuelles, coopératives, syndicats professionnels, ... Mais les organismes qui tentent de fédérer ces organisations ne sont pas dirigés par des agriculteurs mais par des notables. L'Union centrale des syndicats agricoles de France (dit de la rue d'Athènes), créée en 1886, est dirigée par de grands propriétaires fonciers, bourgeois ou aristocrates d'opinion conservatrice et antirépublicainre. La Société Nationale d'encouragement à l'agriculture (dite du "boulevard Saint-Germain") est dirigée au contraire par des républicains, eux aussi des notables, mais plus modestes (propriétaires, notaires, médecins). Ces groupes fonctionnent "comme un syndicalisme d'unanimité qui fonctionne comme un groupe de pression" et donnent donc une image (fausse) d'un monde paysan unifié et solidaire.
En réalité, le monde paysan est hiérarchisé, la grande propriété n'a pas disparu (elle est présente dans l'Ouest, en Bretagne, également dans le Lyonnais). Il existe un prolétariat rural qui diminue plus vite que les propriétaires exploitants : des syndicats dans les années 1890-1910 tentent de les organiser (résiniers des Landes, maraîchers de la région parisienne, ouvriers vignerons du Languedoc). Mais parmi les exploitants, il existe de grandes inégalités entre notamment les gros fermiers beaucerons ou picards et les petits agriculteurs polyculteurs du Massif Central. Les petits exploitants des pays de vignoble ou de culture légumière sont en revanche prospères : il y a donc de grands écarts entre les diverses situations et des intérêts divergents, que masque une apparente unamité.
II) l'Entre-deux-guerres : "la terre qui meurt ?"
La guerre a des effets désastreux sur le monde paysan : saignée démographique, usure du capital productif (non renouvelé). Il a d'autres conséquences, comme le rôle grandissant des femmes dans l'exploitation en l'absence du mari, gains réalisés pendant le conflit du fait de la hausse des prix agricoles (rapidement annulés par l'inflation du lendemain de la guerre).
Mais si l'on examine les tendances lourdes du point de vue social, on relève quatre grandes tendances :
- Evolution lente mais décisive de la civilisation matérielle
- Changement dans les composantes de la société rurale
- Mutation décisive de la sociabilité et de la culture dans les campagnes
- Crise dans la représentation du monde agricole.
A) Evolution de la civilisation matérielle.
Des changements lents : dans l'alimentation, "les permanences l'emportent" (Histoire de la France rurale, par G. Duby et A. Wallon, tome 4). Le pain, la soupe et le porc restent la base mais il y a une plus grande variété (consommation de poisson frais, légumes variés, épinards, choux-fleurs, céléris, ...) et une plus grande recherche dans la confection des plats (les fameux plats régionaux ne sont pas si anciens). Permanence aussi dans l'habitat : les maison avec cuisine-salle commune et une ou deux chambres. Une nouveauté toutefois, le salon, chambre transformée en pièce de réception, d'apparat (on y expose les objets les plus beaux en vitrine, comme la vaisselle de qualité) et aussi lieu du souvenir familial (photos) : "sorte de nouvel autel aux dieux lares, ils s'ornemente du maximum de ces reliques du nouveau culte que sont les souvenirs de toutes espèces et les photographies".
Un changement décisif cependant, l'électrification des campagnes qui se produit entre 1919 (17% des rurales sont alors électrifiées) et 1932 (82%). Ces transformation de très grande ampleur modifie la vie quotidienne comme les conditions de la production : elle permet d'assurer le développement de petites industries rurales, destinées dans l'esprit des "aménageurs" de l'époque à freiner l'exode vers les villes.
B) Changements dans les composantes de la société rurale.
Un fait dominant : le triomphe de l'exploitation familiale :
- entre 1912 et 1929, les très petites exploitations (1 ha et moins) disparaissent, les moyennes (10 à 40 ha) se sont accrues ; les grands domaines voient se réduire leur importance.
- Pour les 3/4 d'entre elles, il s'agit d'exploitations familiales (55% des exploitations n'ont pas de salariés, 25% n'ont qu'un salarié, intégré à l'ensemble domestique) la main d'oeuvre salariée se raréfiant. Ainsi, "le double mouvement de croissance des exploitations de taille moyenne et de réduction continue de l'importance des grandes domaines et des microtenures transforme enfin en réalité sociale dominante ce mythe de l'exploitation familiale si souvent évoqué et glorifié dès les débuts de la IIIème République". La femme joue un rôle de plus en plus grand dans la direction de l'exploitation;
- Si les industries rurales ont tendance à régresser, l'artisanat rural conserve de l'importance. 570 000 personnes (320 000 patrons, 250 000 ouvriers) sont recensées dans cette catégorie en 1929. Les catégories traditionnelles (forgerons et charrons) sont encore dominantes mais des métiers plus modernes se développent, comme les électriciens-mécaniciens.
- Enfin, les rentiers ruraux ont disparu depuis le début du siècle. C'est moins l'inflation du lendemain de guerre qui les a fait disparaitre que la diminution lente de la rente foncière.
Mais le triomphe de l'exploitation familiale survient dans un contexte de crise agricole qui ne sera surmontée qu'au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale.
C) Des mutations culturelles décisives.
Ce triomphe correspond aussi à la disparition de certains aspects de la civilisation rurale traditionnelle. Plusieurs signes attestent de changements décisifs.
1. D'abord, l'apparition de musées du folklore, signe du recul des traditions (déjà constaté par la littérature "folkloriste" de la fin du XIXème siècle). En 1937, est créé le musée national des Arts et traditions populaires : costumes, meubles, ustensiles, etc ... sont désormais recueillis et conservés.
2. Ensuite, le recul de la vie religieuse fait disparaître le rôle de l'église et de la messe dans leur rôle social de rassemblement, au moins dans beaucoup de cas. Les grandes fêtes agraires comme les Rogations (bénédiction des récoltes) ne sont plus guère célébrées; les Rameaux sont toujours célébrés, mais essentiellement pour protéger la maison individuelle : le sens est familial et non plus collectif. Le culte n'est plus agraire.
3. De nombreuses coutumes (d'origines païennes, mais christianisées) reculent :
- les feux de la Saint-Jean, qui ne subsistent plus qu'en Artois, dans certaines parties du Massif Central, le Languedoc et la Corse.
- les carnavals (donnant lieu à des facéties, aspersions ou barbouillages, de la part de jeunes gens masqués, qui s'y livrent au cours d'un déplacement dans les maisons du village) se font rares.
- les veillées disparaissent : les familles restent chez elles. Cette disparition indique bien la mutation décisive : le repliement sur le groupe familial, et le recul définitif de la vielle collectivité villageoise.
D) La crise de la représentation agricole
L'organisation unifiée du monde agricole, caractéristique de l'avant-guerre de 14 est en voie de dislocation sous l'effet de plusieurs facteurs :
- l'essor d'un syndicalisme agricole d'exploitants créé en dehors des grandes organisations de notables, surtout dans l'Ouest catholique, sous l'impulsion parfois des "abbés démocrates". Ainsi la Ligue des paysans de l'Ouest (crée en 1927) déclare ne recruter que parmi les "personnes exerçant réellement la profession agricole" et combat l'influence des grands propriétaires nobles.
- l'apparition d'un syndicalisme de salariés agricoles. En 1920 est fondée à Limoges, la Fédération nationales des travailleurs de l'agriculture, qui adhère à la CGT (socialiste dans l'entre-deux-guerres); mais elle n'encadre à la fin des années 1930 que 7 à 8% des salariés du secteur; la rivalité entre organisations socialistes et communistes est forte à la campagne.
- enfin, la formation de partis paysans affirmant bruyamment leur souci de défense paysanne, comme le Parti agraire de Fleurant-Agricola et les comités de Dorgères. Celui-ci, agitateur efficace, se fait le promoteur d'une sorte de "fascisme vert" : actions de commando, organisation paramilitaire, et oppose la "pureté" rurale aux villes "corrompues", tombées aux mains d'une classe politique qui ne protège plus les intérêts paysans.
Au-delà de ces agitations, les années 30 voient le développement de thèses qui rejettent le libéralisme pour l'agriculture : à droite, le corporatisme, qui prône l'organisation face au marché; à gauche, l'interventionnisme, qui aboutit à la loi de 1936 sur la régulation du marché des céréales. Regroupement professionnel, régulation des marchés : ces deux caractéristiques se retrouveront dans l'après-guerre.
Ainsi, la période 1880-1940, aura-t-elle été décisive. Au plan culturel, par la mutation des campagnes ouvertes désormais aux influences urbaines. Au plan social, par la transformation du "paysan" traditionnel en exploitant agricole.
oui franchement merci pour tous ces cours!! et de recopier sur l'ordi ! c'est super sympa !! c'est cool!! bravo à toi !!!Wow je suis sur le c**, c'est vraiment sympa de recopier tous ces cours, de prendre ce temps pour les autres ! Vraiment, un grand bravo, ça fait plaisir de voir de telles initiatives ! merci beaucoup !Merci beaucoup, c'est très gentil à vous, et de plus très intéressant !